Oui, j’ai laissé passer dimanche. Et dimanche d’avant, aussi. Oui. J’avais dit que je publierais régulièrement. Oui. Eh bien je vais rattraper mon retard cette semaine. Voilà. Na !
Pendant les vacances, j’ai retrouvé un certain nombre de textes dans mes tiroirs. Je me souvenais de celui-là mais j’en ai sorti plein d’autres. Et puis alors, des pas marrants. Des sombres et cyniques, désespérés à souhait. Celui-là n’est peut-être pas mal non plus… J’avais conçu un projet: écrire mon premier roman intitulé « Premier Roman » dont le héros essaierait d’écrire son premier roman. Pour couronner le tout, je voulais copier une de ces « structures miracles » en 12, 21 ou 37 étapes pour la détourner et m’en moquer. A savoir: raconter l’histoire d’un narrateur qui se démène pour passer outre les structures préfabriquées. Bon… Il n’a jamais existé que cette note de concept, peut-être devrais-je y repenser ?
Mon personnage principal vivait un quotidien banal à ses yeux jusqu’au jour où il se mit en tête de vraiment s’y attaquer. Voilà des semaines des mois, qu’il y pensait, à cette ritournelle qui sans cesse le harcelait : écris, écris, écris, écris… Il suffirait pourtant de céder à l’appel de tous ces rêves de gloire littéraire, de vaincre une fois, rien qu’une, l’inertie. Il avait toujours aimé raconter des histoires alors, pourquoi est-ce si difficile de se décider ? Il se souvint un soir de ce petit garçon studieux se rendant souvent, il y a bien des années, au CDI du collège pour y saliver devant la multitude des destins et les choix de parcours, audacieux, qu’il faudrait assumer pour les atteindre enfin. Mais un, surtout, captait son attention. Comment devient-on auteur, avait-il demandé ? Mais on ne le devient pas, en général, c’est seulement l’à-côté d’un vrai métier, avait très gentiment répondu la jeune femme derrière ses lunettes rondes et son bureau mal rangé. Très bien, dans ce cas… Cette idée saugrenue était repartie, comme il se doit. Mais à force de lire et d’apprendre des plus grands, de s’emplir ainsi chaque jour la tête des succès des autres, elle devait bien rappliquer un jour ou l’autre. Et à trop se perdre chaque dimanche dans la contemplation des étagères saturées d’œuvres de colosses, comme autant de passeports pour l’éternité, dans la petite boutique de la vieille rue, entre le marchand de souvenirs et le glacier, il fallait bien qu’il finisse par s’imaginer là dans deux siècles, intercalé entre Proust et Hemingway.
Tout paraît toujours si simple, mais voilà… Créer demande le courage d’oublier qu’on croit plus qu’on ne peut. Ainsi les lâches abandonnent-ils avant d’avoir démarré, préférant se confronter aux remords qu’au constat potentiel de leur médiocrité. Seulement, on peut bien repousser tant qu’on veut l’échéance de la consécration, il vivait un quotidien si morne à ses yeux, et surtout, sans espoir d’y survivre à jamais, qu’il prit enfin les mesures qui s’imposaient : demain, je m’y mets.
On se rappelle toujours ses premiers pas, mais plus encore ses premières chutes. Lui ne se sentait pas d’en rire, bien au contraire. Ça n’était pas un souvenir agréable, dans lequel on se perd avec un vague sourire, non, plutôt une cruelle déception, dont l’amertume devait lui faire tomber rageusement le stylo des mains.
D’abord, on rêve d’être auteur : écrire, inventer, narrer, repousser les limites et s’essayer à de fantasques projets sans lendemain, pour l’unique plaisir de tenter quelque chose d’autre et s’amuser. Puis l’on comprend que rien ne sert d’entrevoir un brillant avenir où l’inspiration vous apporte le pain du jour avec le café chaque matin. Voilà qui requiert de l’exercice. Alors on cherche une idée, bonne, de préférence, et déclinable sous forme courte, efficiente, rapide à conclure. Mais aucune ne convient : trop simple, un poil compliquée, interminable, pas assez de matière, de toute façon tout est nul et moi aussi, pourquoi s’obstiner. Et puis elle survint, quand on ne l’attendait plus. Sous la douche, aux toilettes ou dans un métro barbant. Illuminant tout à coup la grisaille des banalités, remontant en un instant tous les espoirs tombés. La voilà ! Nul besoin de la tordre et triturer pour la maturer : seule elle se développe, grandit et étend ses racines jusqu’à coloniser l’esprit. Elle obséda tant qu’il ressortit un beau jour quelques feuilles et son plus joli stylo, histoire de marquer le coup. Profitant de chaque moment pour l’écrire sans relâche, il sentait la passion l’envahir de nouveau. N’est-ce pas d’ailleurs le propre de la passion ? Aussi longtemps qu’on la délaisse, elle finira toujours par charger encore, confirmée. La passion véritable se compte en phases, où retours et abandons se succèdent à un rythme quasi périodique. Il faut se réjouir de chaque abandon, car elle est vivante, fertile, source de doutes et non figée. Un simple abandon marque au contraire la fin d’une mode, donc d’une imitation ; tandis qu’une activité continue équivaut à une routine désertifiée.
Mais voilà enfin le court manuscrit terminé ! Il y a mis ses tripes, son cœur, ses abats, sans oublier de nettoyer. Surtout, il s’est amusé, prenant un malin plaisir à ressasser toutes ses meilleures trouvailles et à se projeter dans la suite. Car c’est une drogue de bien créer et il compte déjà les heures et se languit avant sa prochaine idée. Se sentir enfin fier, enfin accompli, déchargé du doute et chargé d’espoir, rêvant à une dose plus corsée. Ne serait-ce pas la cerise de mon triomphe que de soumettre mon texte à une revue imprimée ? Pour que d’autres puissent en profiter ? Rire comme j’ai ri, frémir comme j’ai frémi, s’émerveiller comme je l’ai fait ? De toute façon, pour la compétition, il n’y en aura pas trente meilleurs, je l’aurais remarqué…
Les alpinistes estropiés savent qu’il vaut mieux ne pas trop grimper, pour chuter de mon haut. Mais il n’avait malheureusement rien escaladé d’autre avant la satisfaction de son ego. Ainsi la violence de certains commentaires et l’ironique méchanceté d’autres lui coupèrent-elles les jambes en pleine ivresse des sommets. Le rappel au niveau de l’amer fut cependant plus brutal de n’être pas publié. Car en admettant que l’on accepte toutes les critiques, on assume aussi que l’on se ment.
Et le doute revint, tranquillement, puis la peur. L’incertitude sur son propre potentiel, et son envie de l’exploiter se combinent très bien avec la crainte de ne pas devenir celui qu’on aimerait. Puis, après quelques jours de ruminements en gestation naît l’aigreur, refuge facile, mais de mauvaise foi. L’espoir, lui, toujours plus chétif au moment du combat, est reparti. C’est une cousine à lui, la rancœur, qui s’est incrustée. Elle a le chic pour vous remotiver, elle, reprends donc ton stylo, on va leur montrer ! C’est toi le meilleur, de toute façon ! Eux c’est tous des cons ! Ils peuvent bien cracher, c’est parce qu’ils sont jaloux ! Incapables de créer comme toi ! Mais elle perd sa voix, l’excitée, à force de hurler, et la colère finit par fatiguer. De toute manière, l’envie aussi a laissé tomber. C’est pas que j’abandonne, non, c’est juste que… Je sais pas, je le sens pas trop, en ce moment. Non, attends, bien sûr que non, c’est pas à cause du refus ! Ça y est, c’est passé, ça. Juste, je sais pas, j’ai pas trop d’idées, là, et puis j’ai pas trop le temps non plus, de toute façon. Mais suffit que j’en trouve une vraiment bonne et je m’y remettrai, c’est sûr ! C’est important, je pense, de prendre du recul, de se poser pour y penser, quoi. Faut pas forcer l’inspiration, en fait, c’est ça le problème, c’est ça qui allait pas.
Jusqu’à la prochaine fois !